Pour son retour attendu au format emblématique du trio, le pianiste français Laurent Coq s’entoure d’une rythmique de haut vol et signe une série de compositions originales dédiées à tous ceux qui forment sa parenté (« kinship« ) musicale.
Un hommage vivant à tous ceux qui, à Paris comme à New York, font battre le jazz au XXIe siècle, par l’un des plus singuliers pianistes actuels, parfaitement en phase avec ses nouveaux partenaires, le contrebassiste Joshua Crumbly (Terence Blanchard, Kamasi Washington…) et le batteur Johnathan Blake (Kenny Barron, Pharoah Sanders, Tom Harrell…) totalement investis dans un art du trio aussi renouvelé qu’audacieux.
Kinship marque mon retour au trio piano-basse-batterie. Depuis Spinnin’ en 2003, il aura donc fallu douze ans pour que je revienne à cette formule emblématique. Pendant toutes ces années, j’ai préféré les instrumentations à plusieurs solistes dans lesquelles le piano occupe une position de pivot, à la fois devant et derrière, soliste et artisan de la rythmique. Peut-être était-ce le temps nécessaire pour envisager un répertoire adéquat. Peut-être fallait-il simplement trouver les nouveaux partenaires.
Tout juste quarantenaire, fils du légendaire violoniste John Blake Jr., Johnathan Blake est aussi l’héritier de la grande dynastie des jazz drummers en général et des batteurs de Philadelphie, sa ville natale, en particulier (Philly Joe Jones, Bobby Durham, Albert Tootie Health, Mickey Roker, Ralph Peterson). J’ai eu souvent l’occasion de le voir jouer auprès de Tom Harrell et Kenny Barron, ses deux principaux employeurs, mais également dans les groupes qu’il a constitués avec des figures de la scène new-yorkaise. Son jeu allie tradition et innovation, souplesse et précision, contrôle et lâcher prise, profusion d’idées et sens de l’espace. Toujours au service du collectif, il est ancré dans le moment présent.
J’ai fait la connaissance du jeune contrebassiste d’origine californienne Joshua Crumbly plus récemment, quand nous lui avons proposé de faire les tournées de la Suite Lafayette en Europe et aux USA avec Walter Smith III et Damion Reid. Serait-ce son passé de basketteur ? Joshua sait toujours se placer. Son intonation, son rebond, ses idées et son intuition en font le pilier de ce trio. Alors qu’ils n’avaient encore jamais joué ensemble avec Johnathan, ils ont guidé la musique sur des sentiers nouveaux. Qu’ils en soient ici profondément remerciés.
Kinship en anglais signifie la parenté, une notion qui renvoie autant à la famille de sang qu’à celle qu’on se constitue dans un parcours de musicien. Ce disque rend hommage à onze membres de cet entourage. À mes côtés depuis plus de vingt ans pour certains, ces dix frères et une sœur m’ont inspiré la musique que j’ai écrite et les décisions professionnelles que j’ai prises pendant toutes ces années. C’est à eux que je pense — et à d’autres musiciens qui ne tiendraient pas sur un seul disque — quand je travaille, écoute, compose, accompagne, improvise ou enseigne. Ils ont tous eu une influence majeure dans mon développement personnel.
Par leurs capacités d’improvisateurs et de compositeurs, leur manière d’aborder tous les défis propres au jazz et par leur dévouement à la musique, ces artistes partagent les qualités que j’aime chez un musicien :
– Ils sont très attachés à la mélodie — écrite ou improvisée — qui est l’élément le plus rare, le plus mystérieux et le plus noble de la musique. On peut toujours apprendre l’harmonie et le rythme. On n’apprendra jamais vraiment à écrire et chanter une bonne mélodie.
– Ils ont à cœur de cultiver un rapport purement physique au rythme, à la musique et aux échanges entre musiciens, ce que les Américains appellent « interplay ».
– Ils n’ont pas choisi entre innovation et tradition parce qu’ils savent qu’il n’est pas nécessaire de les dissocier.
– Avec eux, l’individu est au service du collectif et non l’inverse.
– Ils ont tous développé une voix unique, reconnaissable entre toutes. Ils ne cherchent pas à sonner comme tel ou tel, mais continuent d’écouter et d’étudier beaucoup de musique, passée et présente. Cette implication et cette curiosité alimentent constamment leur travail, lui confèrent sa pertinence et lui évitent l’essoufflement.
J’ai demandé à chacun d’entre eux de me donner un mot — un seul — qui symbolise, résume, illustre, ou simplement sied bien à la musique qu’ils jouent et écrivent. Entre l’enregistrement et le mixage du disque, j’ai mis ces onze mots dans un chapeau et j’ai tiré les titres des morceaux au sort. Je n’ai pas voulu écrire à la Laurence Allison, à la Mark Turner ou à la Guillermo Klein – je n’en suis pas capable. Partant du principe que leur influence est présente dans toute ma musique de manière presque inconsciente, j’ai laissé le hasard choisir les compositions qui leur seraient dédiées. A posteriori, si j’avais moi-même organisé cette répartition, je n’aurais pas obtenu de meilleur résultat.
Laurent Coq
Enregistré au Bunker Studio à Brooklyn (NYC) le 31 octobre et le 1er novembre 2016 par Katsuhiko Naito
Mix et mastering au Bass Hit Recording Studio (NYC) le 4 novembre par Dave Darlington.